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Jeux et Apprentissages. Comment catégoriser le jeu?
De nombreux auteurs s'y sont essayé, parmi lesquels je retiens trois noms :
 Johan Huizinga, Roger  Caillois, Gilles Brougère, mais j'en oublie certainement d'autres.

Johan Huizinga
Historien néerlandais (1872 - 1945), Huizinga s'intéresse à  l’influence du jeu sur la culture européenne. Il repère que le jeu est un phénomène culturel et ne peut se comprendre seulement dans une perspective biologique, psychologique ou anthropologique. Nait l'idée de l'homo ludens qui s'ajoute à celle d'homo sapiens (renvoyant à la connaissance ou au savoir) et à celle de l'homo-faber (concernant le travail, le labeur).
Ces idées sont développées dans un essai "Homo Ludens" paru en 1938, toujours édité (ISBN 2-07-071279-6)
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En résumé, selon Huizinga, le jeu contribue au développement de la culture, « le jeu est une tâche sérieuse ».
Voici un extrait de la prière d'insérer de la librairie en ligne Decitre :
Après avoir défini le jeu comme une action libre, sentie comme fictive et située en dehors de la vie courante, capable néanmoins d'absorber totalement le joueur - une action dénuée de tout intérêt matériel et de toute utilité, qui s'accomplit en un temps et dans un espace expressément circonscrits, se déroule avec ordre selon des règles données, dans une ambiance de ravissement et d'enthousiasme, et suscite, dans la vie, des relations de groupes s'entourant volontiers de mystère en accentuant par le déguisement leur étrangeté vis-à-vis du monde habitude -, Johan Huizinga montre la présence extrêmement active et féconde de ce jeu dans l'avènement de toutes les grandes formes de la vie collective : culte, poésie, musique et danse, sagesse et science, droit, combat et guerre.
Homo Ludens reste  un ouvrage incontournable de l’étude du loisir et de la culture.

Roger Caillois
Ecrivain, sociologue et critique littéraire français (1913-1978), Caillois a beaucoup travaillé sur l'imaginaire humain, en particulier sur nos projections sur les formes complexes du monde minéral. Caillois s'occupe donc d'esthétique.
Mais c'est son ouvrage "Les jeux et les hommes" paru chez Gallimard en 1957 -ISBN 2070326721- qui nous intéresse ici.
L
'auteur y présente le jeu comme une activité qui doit être :
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Libre : l'activité doit être choisie pour conserver son caractère ludique
Séparée : circonscrite dans les limites d'espace et de temps
Incertaine : l'issue n'est pas connue à l'avance
Improductive : qui ne produit ni biens, ni richesses (même les jeux d'argent ne sont qu'un transfert de richesse)
Réglée : elle est soumise à des règles qui suspendent les lois ordinaires
Fictive : accompagnée d'une conscience fictive de la réalité seconde.

Il en déduit quatre catégories de jeux : ceux qui reposent sur la compétition (agôn), le simulacre (mimicry), le hasard (alea), et enfin ceux qui ont pour objet de procurer une impression de vertige (ilinx).
Compétition : pas de jeu sans enjeu, la gagne est le moteur du jeu.
Simulacre : le jeu peut être une reprise symbolique de ce qui se passe dans la réalité (Piaget) comme dans le coin de la marchande ou celui du bricoleur. Mais surtout il permet une mise à distance. Le jeu n'existe pas sans un certain écart entre réalité et fiction.
Hasard : c'est un moteur fréquent dans beaucoup de jeux. Mais il empêche de faire reconnaître la valeur technique des joueurs, quand il est seul maître à bord.
On aura repéré que le dernier type de jeux  (ilinx) -qui tient de l'affolement des sens (penser au manège forain)-  ne peut concerner l'école.

Gilles Brougère
Gilles Brougère est professeur en sciences de l'éducation à l'université Paris 13, directeur d'EXPERICE, et responsable de la spécialité Loisir, Jeu, Education du Master EFIS. Au sein de l'Axe B, il développe des recherches sur le jouet, la culture enfantine de masse, les relations entre jeu et éducations, l'éducation préscolaire comparée et les apprentissages en situation informelle.
Deux ouvrages concernent directement notre sujet :
"Jeu et éducation. Paris" L'Harmattan. (1re éd. 1995)  ISBN : 2-7384-3383-9
"Jouer/Apprendre"  Economica-Anthropos , Paris (2005) ISBN : 2-7178-5119-4
On ne peut comprendre le jeu sans le renvoyer à la fois à une expérience individuelle singulière et à une forme de participation collective, donc à une culture. Ainsi : « L’effet premier du jeu est d’apprendre la culture du jeu. En jouant, on apprend avant tout à jouer ». G. Brougère repère des « cultures ludiques », formées de l’ensemble des procédures, des structures, des schèmes généraux et particuliers que les individus doivent acquérir, co-produire et partager avec d’autres pour pouvoir jouer.
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Selon G. Brougères, cinq critères, dont les deux premiers sont majeurs, définissent le jeu :
Second degré : ce qui conduit le jeu à être une situation à laquelle les acteurs engagés confèrent une autre signification que celle liée aux comportements utilisés. […] ;
Présence de décision(s) : non seulement celle de jouer ou d’entrer dans le jeu, mais le fait que le jeu n’est qu’une succession de décisions […] ;
Règles : qu’elles soient préalables ou construites au fur et à mesure du jeu […] ;
Frivolité : ou l’absence de conséquence réelle de l’activité […] ;
Incertitude : ou l’idée que l’on ne sait pas où le jeu conduit – contrairement, par exemple, à un rite.
Le premier critère (second degré) renvoie à l'idée de simulacre de Roger Caillois.
Le second critère (prise de décisions) suppose une connaissance, qui peut évoluer dans le temps et avec l'expérience. Lorsque la connaissance est totale, le jeu est épuisé. Exemple : course à 20 ou jeu du Pion empoisonné.
Le troisième critère (règles) indique la nécessité d'un apprentissage, suggère la possibilité d'un détournement (triche) ce qui transforme alors le jeu.
Le quatrième critère (frivolité) pourrait entrainer un contresens. Frivole : qui est vain, sans importance, sous-entendu sous l'angle de la réalité. On retrouve peu ou prou le caractère improductif du jeu selon Caillois. Bien sur, la frivolité n'entraîne pas qu'un jeu ne puisse pas être très sérieux.
Le cinquième critère (incertitude) indique bien qu'un "vrai" jeu n'est pas gagné d'avance. Pour tendre à cela, le joueur développera connaissances tactique(s) et stratégiques.

Citons Christine Delory-Momberger : La question du rapport du jouer et de l’apprendre peut alors être reposée. Tant que l’on reste dans la confrontation des contenus et des finalités, force est de constater la tension qui les oppose et l’impasse où l’on se trouve à vouloir les concilier. Une autre approche doit être mise en œuvre, qui fait appel à la notion d’éducation informelle : il faut penser le jeu en relation avec tous les apprentissages qui peuvent se faire dans des situations qui ne sont pas intentionnellement construites pour l’apprentissage. En tant qu’il est une construction sociale et culturelle, en tant qu’il transforme des éléments extérieurs en leur donnant de nouvelles significations, le jeu possède en lui-même un potentiel éducatif : « Si le jeu est éducatif ce serait donc d’un point de vue informel, c’est-à-dire comme un effet qui accompagnerait cette expérience sans qu’il soit visé ». L’expérience du jeu ouvre ainsi sur une nouvelle conception de l’apprendre étendue à tous les espaces potentiels d’apprentissage et sur une approche de l’éducation « tout au long » et « tout au large » de la vie (lifelong / lifewide learning), propre à renouveler profondément les concepts et les pratiques du monde éducatif.